A première vue, je tenais là un livre qui avait tout pour me plaire : un texte oublié d'un auteur fin-de-siècle figurant dans Le Livre des masques de Rémy de Gourmont (autrement dit l'un des bienheureux portraiturés par le merveilleux Félix Vallotton) dont la résurrection était assurée par le plus que perspicace et tenace Jean-Jacques Lefrère, médecin doublé d'un amateur éclairé de littérature du 19e siècle à qui l'on doit notamment quelques trouvailles géniales (dont la découverte des origines bien concrètes - et non imaginaires, désolé André Breton - de la célèbre image de "la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie" présente dans les Chants de Maldoror).
Sa lecture fut pourtant une déception, en tout cas jusqu'aux trois quarts, moment où la révélation (sur laquelle je ne m'attarderai pas) qui se veut le climax du livre arrive enfin. Car jusque-là, on est bien trop à mon goût dans l'un des lieux communs de la littérature française des années 1850(?)-1930 : la visite estivale d'un cousin parisien à sa famille demeurée (sic) en province, prétexte à la description d'un décalage entre personnes cultivées de la capitale et gentils ruraux bons mangeurs mais souvent bas du front. Heureusement, une part de mystère s'insère vite dans cette villégiature qui s'annonçait sans histoire, grain de sable qui est la substance même du livre et le moteur d'une enquête menée par le narrateur, évidemment le personnage venu de Paris, c'est-à-dire le seul possédant le recul et la culture nécessaires pour comprendre quelque chose (et le démêler) à tout ce qui se passe d'étrange (aux yeux des autres).
C'est bien simple, à un moment, je me suis cru en train de (re)lire le roman de Jean Martet intitulé Les Cousins de Vaison (publié en 1932) dont le dernier éditeur fait le résumé suivant : "Dans les années trente, à Paris, un jeune homme d'origine provençale, préparant sa thèse de doctorat en droit, découvre par le hasard d'une lecture l'existence d'une secte étrange dite des Implorants de Vaison. Intrigué, il profite d'un congé, descend chez un oncle qui habite Carpentras, et là, tombe sur la photographie d'une mystérieuse Dea Dia dont la beauté le bouleverse, mais dont personne ne consent à lui parler..."
Mais revenons-en à Un coco de génie : il mérite malgré tout d'être lu jusqu'à la fin et même (surtout) jusqu'à la postface de Jean-Jacques Lefrère qui permet d'en apprendre un peu plus sur cet auteur aujourd'hui connu des seuls spécialistes de l'époque. Son portrait de Louis Dumur a en effet l'intérêt de reposer une nouvelle fois cette question qui nous intéresse tant par ailleurs (voir notre billet sur Avec le feu de Victor Barrucand) : comment ont fini les écrivains des années 1890-1900 ? Car il existe bien deux types d'auteurs fin-de-siècle : ceux qui sont morts avec le siècle justement et ceux qui sont devenus des hommes du 20e siècle, non sans difficulté semble-t-il quand on en juge aux parcours de beaucoup, celui de Dumur constituant à ce titre une sorte de cas d'école. Libre penseur pacifiste et dreyfusard avant 1900, et surtout avant le grand tournant de la 1e guerre mondiale, il devint un pathétique réactionnaire belliqueux (anti-allemand) jusqu'à sa mort en 1932.
Une dernière chose : ce livre a également pour mérite (certes secondaire) de maintenir en vie par son seul titre le sympathique terme de "coco", une expression aujourd'hui porteuse d'une terrible nostalgie tant elle évoque le parler de nos grands-parents, un peu comme nos oreilles entendent une autre expression présente dans un autre titre, La Vie de Patachon de Pierre de Régnier, petit chef-d’œuvre fin-de-siècle à sa manière (car publié en 1930), dans le ton en tout cas, tant il évoque bien un (petit) monde (parisien) finissant à la veille de 2e guerre mondiale. Belle Époque, Années Folles : même(s) combat(s), même(s) défaite(s) ?
PS : Pour l'anecdote (magnifique prétexte pour glisser un "masque" de plus dans ce billet), Pierre de Régnier était officiellement le fils d'Henri de Régnier (mais d'après Jean-Paul Goujon génétiquement celui de Pierre Louÿs), lui aussi croqué par Félix Vallotton.
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