lundi 20 août 2012

Alcyon, Pierre Herbart (Gallimard, 1945)


Une fois encore (le hasard, décidément, n’existerait-il pas en matière de goût littéraire ?), le format de la longue nouvelle ou du court roman a produit tout son effet sur moi comme s’il s’agissait pour mes yeux de lecteur d’une durée parfaite, une sorte de distance reine à la manière du 400 mètres en athlétisme, course qui est encore du sprint et déjà de l’endurance : un tour de piste qui nécessite tous les talents puisque la plus longue distance pendant laquelle un humain peut courir à pleine vitesse du début à la fin sans réfléchir ni s’économiser, c’est-à-dire se confronter à l’inhumain. Et c’est, d’une certaine manière, comme s’il en allait de même avec l’écrivain qui s’attaque à ce tour de force littéraire du texte hors normes classiques.  

A ce genre en soi qui ne peut être réduit en français à un seul mot, Joseph Conrad – plus qu’aucun autre - a su donner ses lettres de noblesse et ce, dans une langue anglaise qui lui décerne le titre de novella. La figure tutélaire de Joseph Conrad plane d’ailleurs au-dessus de cet ouvrage comme elle irrigue son contenu, aussi bien au niveau des techniques narratives (ruptures chronologiques, changements de narrateurs…) que de l’atmosphère générale (personnages principaux exclusivement masculins, omniprésence de la mer, dérive humaine sur les rives de la folie…).

On ne trouve en effet ici que des personnages (re)couverts de mystères et se vouant à un échec qu’ils semblent appeler de leurs vœux sans que l’on sache pourquoi. C’est en fait comme s’ils avaient un vide au cœur et, à ce titre, la noyade rôde dans ces pages comme une métaphore constante au point d’imprégner le récit d’un sentiment d’aspiration vers le fond, de cercle vicieux au sens propre car rendu concret par l’image de l’eau qui, comme un tourbillon, une spirale, éloigne de la surface pour rejoindre le néant.

Histoire sans la moindre femme ou presque, et c’est peut-être là une des clés de l’impasse dans laquelle tous ces hommes ne cessent de vouloir aller. Jusqu’au bout. Que ce soit par la solitude, la guerre ou la folie. Lesquelles ne sont d’ailleurs peut-être que trois formes différentes d’une seule et même chose : la tentation de la mort, l’irrésistible appel du néant au sein de chaque existence. Ainsi, à chaque ligne de ce grand texte bref, le crépuscule de la vie pointe comme l’ultime horizon à atteindre.