jeudi 10 mai 2012

L’Invité mystère, Grégoire Bouillier (Allia, 2004)



Plus je [vieil]lis et plus les concepts de studium et de punctum – tels que définis par Roland Barthes dans La Chambre claire à propos de la photographie - épousent mon rapport aux livres, c’est-à-dire à la fois l’attention que je leur porte et l’attraction qu’ils exercent sur moi. L’Invité mystère en est une nouvelle preuve tant il me pointe du doigt, son sujet étant de surcroît les liens – et pas seulement les coïncidences – qui unissent l’art et la vie lorsqu’une œuvre rencontre une existence. Et ce n’est pas anodin – mais le plus pur produit du hasard - si l’artiste contemporain qui est (un personnage) dans le livre n’est autre que Sophie Calle, la reine du (mélange des) genre(s).

Pour mieux dénouer puis resserrer donc les liens entre l’art (pas seulement la littérature…) et la vie, l’écriture de Grégoire Bouillier fait entendre une voix presque ininterrompue par la ponctuation, comme un long fil tiré du début à la fin du texte. L’Invité mystère est ainsi de ces ouvrages dont il ne viendrait pas à l’esprit de souligner une phrase ou une ligne plutôt qu’une autre tant il est conçu comme un ensemble où tout se tient, où tout fait sens. Et puis parce, sinon, il faudrait annoter le moindre mot et encadrer certaines tournures magnifiquement poétiques au sens non générique du terme.

Ce qu’on entend ici surtout, c’est un ton, c’est-à-dire ce qui fait un écrivain digne de ce nom : différent de tous les autres. Comme un musicien doit avoir un son qui lui est propre, indépendamment de toute question de technique (ou de matériel). Une phrase pour l’un, un phrasé pour l’autre doivent suffire à ce qu’on le reconnaisse à l’œil ou à l’oreille.  

Ce livre constitue également un hommage au Mrs Dalloway (1925) de Virginia Woolf alors que l’on pensait la chose impossible depuis The Hours, le film de Stephen Daldry (2002) inspiré du roman éponyme de Michael Cunningham (1999). Ici, la manière est plus simple mais la matière tout aussi émouvante. Et dire que je n’ai toujours pas lu ce texte qui doit renfermer – ou plutôt dégager – quelque chose de si particulier pour donner à ce point envie à ses admirateurs les plus absolus de rendre ce qu’ils ont reçu en prolongeant sa magie.

Enfin, L’Invité mystère est placé sous le signe de Michel Leiris, au sens propre (c’est lui le sujet de la première phrase et de nombreux moments de recentrage du texte) mais aussi figuré (comme modèle d’écriture de Grégoire Bouillier), Leiris à qui je veux depuis longtemps rendre hommage – comme par hasard… -  dans ce blog en chroniquant (modestement) sa préface de L’Age d’homme, j’ai nommé la sublime : De la littérature considérée comme une tauromachie (1946).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire