Il est rare de lire un testament
rédigé sur quinze ans (1880-1894) : c’est pourtant le cas de ce livre, carnet
intime tenu par un médecin pendant sa [vio]lente descente aux enfers - si le
terme n’était pas tant galvaudé. Témoignage d’autant plus intéressant que, si ce
manuscrit n’était pas destiné à la publication, son auteur avait par ailleurs des
qualités littéraires et des velléités dans le genre (un roman sur la
Cochinchine où il réside) que la morphine va aider à anéantir.
Loin de toute vision hallucinée
et/ou sublime, il s’agit ici de l’histoire d’une quête impossible, du récit d’un
homme qui ne cesse d’échouer dans son unique entreprise : arrêter de s’autodétruire.
A la fois victime et bourreau de lui-même, le morphinomane assiste en effet impuissant à
son délabrement physique et mental : le tout au point d’en devenir pathétique,
c’est-à-dire tragique et ridicule, tant la morphine lui fait voir des lueurs d’espoir
quand il s’enfonce un peu plus dans ses sables mouvants. Et comble de l’ironie :
l’auteur a commencé à en prendre pour avoir lu qu’elle soulageait les maux qui
le gênaient...
La lecture de cette incroyable expérience
produit un tel effet de sidération que l’on aimerait juste en savoir un peu plus
sur sa vie « parallèle » - enfin ce qu’il pouvait en rester -, non
pas pour expliquer son addiction mais pour mieux la comprendre. Le médecin et ami
qui a récupéré et publié le manuscrit en 1896 dans les Archives d’anthropologie criminelle (revue fondée par Alexandre Lacassagne)
a « malheureusement » procédé à de nombreuses coupes puisque le journal
s’étirait au total sur vingt-quatre années. Reste à savoir où peut bien se
trouver le manuscrit...
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PS : Pour conclure, un remerciement
à Philippe Artières, l'homme par qui ce texte est parvenu jusqu'à nous,
merveilleux découvreur de textes supposés mineurs - mais ô combien magistraux –
de non professionnels de l'écriture issus des plus bas-fonds de la société. Voir
sa bibliographie absolument étincelante où fourmillent les perles rares…
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