Il en va de l'incipit, ou plutôt de la première phrase d'un livre, comme de son titre : certains vous sautent aux yeux et ne vous lâchent plus au point que les oublier devient impossible. S'en libérer aussi... L'auteur devrait presque s'arrêter là - dans un état d'absolue perfection - et pourtant, il va poursuivre son texte pour aller on ne sait où car tout écrivain digne de ce nom est à la conquête de l'innommable défini une fois pour toutes par Samuel Beckett dans l'excipit de son "roman" du même nom : (...) "il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer".
A la recherche de perles rares en tous genres et de toutes les époques
(Où il est question de lectures récentes mais aussi de souvenirs plus que persistants...)
lundi 27 février 2012
lundi 20 février 2012
Euphorismes, Julien Torma (Paul Vermont, 1978)
Au choix, selon l'humeur du jour et la page (ou même le paragraphe) :
- un modèle de perle rare.
- une curiosité littéraire caricaturale.
jeudi 16 février 2012
Tentative d’assassinat du bourgeois qui est en moi, Yann Kerninon (Libella – Maren Sell, 2009)
D’abord, ce titre : Tentative d’assassinat du bourgeois qui est en moi. Parfait. En tous points. A chaque mot.
Tentative, pour commencer, qui fait écho au genre (« essai ») indiqué juste en-dessous et lui redonne tout son sens. Pour indiquer aussi la possibilité de l’échec, l’idée qu’il y en aura peut-être d’autres et le fait que rien n’est jamais définitif.
Et puis Assassinat pour notifier la violence du propos, le refus de la mièvrerie et l’aspect physique de l’écrit.
Bourgeois ensuite : l’ennemi et le nerf de la guerre, le cœur même du titre et du sujet, terme repris dans le sous-titre en forme de variation à trois temps, de valse sans hésitation, de dialectique immaculée : « Essai sur le bourgeois, l’antibourgeois et la possibilité du non-bourgeois ».
Enfin, en moi, car tout l’enjeu est là pour ne pas répéter les erreurs du passé des moralistes et autres donneurs de leçons classiques et modernes, conservateurs ou révolutionnaires : le premier changement à opérer, au sens d’une opération à cœur, cerveau et ventre ouverts, devra avoir lieu en soi ou alors le « miracle » ne se produira pas.
A partir de là se déploie un livre dense et jouissif qui, de bout de bout, tient ses promesses car son auteur ne manque ni d’air ni de souffle (Kerninon est par ailleurs un cycliste amateur de grands raids en solitaire donnant parfois lieu à des projets/performances filmé(e)s). Il faut également préciser que cet ouvrage s’appuie sur une solide colonne vertébrale - Dada - qui en structure toute la réflexion même s’il n’est pas qu’un brillant essai sur ce mouvement hors norme. Il se trouve juste que Dada constitue la matrice inégalée pour toute critique constructive de la modernité, l’indispensable boussole pour toute révolte individuelle - et non individualiste - digne de ce nom, étant la seule initiative collective du 20e siècle qui n’ait pas viré au système, contrairement au surréalisme et autre situationnisme dont Yann Kerninon n’hésite pas à égratigner au passage (mais avec justesse) les figures tutélaires (Breton et Debord en l’occurrence).
Au sein de Dada, Kerninon a une préférence - et on le comprend – pour Hugo Ball, le plus atypique de tous, lui le chrétien qui, dès 1917, quitta le mouvement et ses querelles naissantes pour creuser - différemment mais avec une même exigence – ses sillons intérieurs comme nous le rappellent les nombreux extraits de son sublime journal, La fuite hors du temps (1913-1921). [Ouvrage épuisé et introuvable dans le commerce, que les Editions du Rocher n’ont malheureusement pas l’intention de réimprimer et dont les Presses du réel n’ont réédité qu’une partie sous le titre Dada à Zurich – Le mot et l’image (1916-1917)]. Hugo Ball qui écrivit d’ailleurs le premier essai-biographie sur son ami Hermann Hesse, créateur ou tout du moins diffuseur (via la traduction française du Loup des steppes) du concept de « bourgeoisisme » que Kerninon reprend ici à son compte.
A ce sujet, Tentative d’assassinat du bourgeois qui est en moi pose les « vraies » questions - celles qui font mal - et y répond en formulant quelques propositions utiles (contrairement à Jean Dubuffet, par exemple, dont la fin de son pourtant célèbre Asphyxiante culture fait à la fois peur et pitié), renvoyant dos-à-dos bourgeois et antibourgeois dans sa recherche d’une troisième voie et non d’un « juste milieu » auquel il ne croit pas à juste titre. On eût juste aimé plus d’« Exercices de saut » - comprenne qui lira… - avec une seconde partie exclusivement « pratique ».
Mais peu importe, car quelle joie de lire un contemporain, c’est-à-dire un auteur en chair et pas seulement en os, dont la finesse d’analyse n’empêche pas la force du propos. En France, seul Bertrand Leclair dans une perspective plus littéraire nous paraît aussi puissant et délicat, lui qui partage avec Yann Kerninon la faculté de mêler dans une même page référence à un groupe de rock et citation philosophique sans la moindre facilité intellectuelle ou d’écriture, mieux : en produisant du sens par ce même rapprochement. [Bertrand Leclair dont le magnifique Petit éloge de la paternité mériterait largement qu’on lui consacre ici un large billet…]
Yann Kerninon conclut d’ailleurs son texte sur la beauté, la force et le mystère de la musique, la citant en modèle au point d’écrire : « Je crois à la musique et au swing comme principes fondateurs, comme projets politiques et comme principes de vie ». Il va ainsi jusqu’à transformer le fameux refrain-titre « It don’t mean a thing if it ain’t got that swing » en véritable pierre philosophale de l’existence humaine, le swing étant bien le souffle de la vie passé dans la musique (autre point commun - en plus de Dada - avec le Lisptick Traces de Greil Marcus dont l’approche est toutefois plus artistique et culturelle).
Kerninon reste quant à lui sous le signe de la philosophie et de la politique, voyant l’art comme une méthode et cite comme exemple vivant son comparse Jean-Louis Costes (digne héritier de Dada dont les livres semblent à découvrir urgemment…) qui s’attaque – notamment - à la bourgeoisie lors de performances indescriptibles qu’il qualifie lui-même de porno-sociales et qui font terriblement penser à un Théâtre de la cruauté abouti. Dans une veine moins (auto)destructrice que Costes, Kerninon propose au final un réenchantement du monde et des êtres en parfaite cohérence avec sa troisième profession : prestidigitateur (il est également enseignant). Preuve une nouvelle fois que le contenu de ce livre est bel et bien vécu par son auteur au sens où la philosophie grecque était une pratique non séparable du discours. C’était d’ailleurs l’objet même de l’épigraphe dédié à sa compagne « pour le soutien le plus difficile : celui de tous les jours ».
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