dimanche 18 mars 2012

Amères saisons, Etienne Schréder (Casterman, 2008)


Déjà près de trente billets et pas un seul sur une bande dessinée alors que le sous-titre de ce blog se targue d’honorer tous les genres… Il est donc plus que temps, non de réparer l’oubli, mais de rectifier le tir car l’envie ne manque vraiment pas : il se trouve juste que parmi les nombreux albums lus ces derniers mois, ces dernières années peut-être même, aucun ne répond à l’énigmatique mais doux nom de « perle rare » tant la bande dessinée est actuellement un genre béni des dieux littéraires où les chefs-d’œuvre (au sens fort du terme) en plus d’être nombreux rencontrent souvent sans (trop de) problème un large public.

Manu Larcenet en est l’un des meilleurs exemples avec son récent Blast dont l’exigence artistique est totale, pour ne pas dire absolue, et pour lequel les ventes suivent. Et avant ce Voyage au bout de la nuit du 21e siècle, un Presque (Les Rêveurs, 2001) aussi méconnu que sublime. Et surtout beaucoup d’autres tant l’homme transpire la bande dessinée de tout son être. Manu Larcenet qui - dans son magnifique blog – nous aiguille vers une prochaine lecture : « Peu de gens savent (Les Rêveurs, 2010) est le seul de mes livres que je peux, encore aujourd’hui, relire sans honte. Je le considère donc, et de loin, comme le meilleur bouquin que j’ai fait seul. »…

Mais revenons-en à notre perle rare, autobiographie aussi bouleversante que pudique d’un homme (qui se) détruit par l’alcool. Descente aux enfers aussi tristement classique et universelle que personnelle et unique dont le dessin très sobre en noir et blanc traduit à la perfection la profondeur. A ce niveau-là de réussite, rien d’utile ne peut être ajouté si ce n’est la source des deux citations qui traversent anonymement ce récit et que relie un invisible point commun : l’image capitale du naufrage humain. Tout d’abord : « Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n'a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer. » (Nicolas Bouvier, Le Vide et le Plein – Carnets du Japon 1964 – 1970). Ensuite : « Au-delà de la misère, il y a la clochardisation qui est comme la folie de la misère » tiré du sublime Les Naufragés de Patrick Declerck que l’on songe régulièrement à chroniquer dans ce blog sans savoir par où commencer tant l’ouvrage est protéiforme, dense, terrible… Comme le frère, le double incroyablement complémentaire d’Amères Saisons d’Etienne Schréder.

vendredi 16 mars 2012

Certidoutes, Jacques Burko (Buchet-Chastel, 2009)


Cette perle rare, c'est l'incomparable Dominique A qui me l'a fait connaître grâce à l'une des chroniques dont il avait jadis le secret au sein d'un magazine portant le nom-acronyme d'un train (on est loin de la Prose du Transsibérien et pourtant...). Dominique A, le brillant et généreux passeur qui m'avait déjà donné envie de lire Marina Tsvetaeva et qui est à l'origine de la réédition du roman Barbara de Jorgen-Frantz Jacobsen (pas encore lu...).

Mais revenons-en à ce livre, Certidoutes, dont la profonde simplicité sonne si juste, loin de la fausse modestie de trop nombreux poètes se réclamant à chaque mot du silence. Jacques Burko, dans sa quête d'une poésie respectueuse tout à la fois du réel, du langage et de soi, reste en effet crédible et cohérent tant il parvient à déjouer les pièges de l'affectation littéraire et de l'homme en proie avec les choses, les êtres et les sentiments. Pour relever ce défi, il demeure tout simplement (fidèle à) lui-même : un homme d'une grande humilité connaissant parfaitement la valeur des mots et du silence (il fut également traducteur et éditeur) mais aussi la cruelle ambivalence de ce monde et de notre position face à lui comme le reflète à merveille le néologisme-titre : Certidoutes.

Résonne enfin comme une sorte de preuve irréfutable le fait qu'il refusait de son vivant la publication de ses poèmes, ce court recueil étant ainsi le premier ouvrage signé de son seul nom (et le seul à ce jour), fruit pourtant d'une longue pratique : cinquante-cinq ans d'écriture pour cent pages à peine... 

mercredi 7 mars 2012

Ecrire en pays dominé, Patrick Chamoiseau (Gallimard, 1997)


Rarement essai à l'exigence littéraire aussi absolue aura été autant politique. Et inversement... Perfection d'une langue française portée à son point le plus haut, le plus étrange(r), le plus beau. Magie d'un vocabulaire à chaque page renouvelé, élargi, transcendé. 

Et puis, au passage, apparaissent des noms d'auteurs jamais vus, entendus, lus. En deux ou trois lignes, Patrick Chamoiseau est ainsi capable de définir le caractère unique, indépassable et performatif d'écrivains qui constituent : "Mieux qu'une bibliothèque : une sentimenthèque."